14 février 2008

La France de Toutenbas

Chroniques de Thierry Pelletier, saisonnier de la galère (blog sur libe que je trouve tres bien ecrit et agreable a lire. Pas toujours ok avec le fond mais j'aime la forme en tout cas). Voici le message d'aujourd'hui:

La France d'après

«Moi à quinze ans, j'étais marin, j'ai navigué jusqu' à Madagascar. J'ai fait mécano, maçon, électricien, mes diplômes c'est mes paluches et ma tronche. Ils me convoquent lundi, je sais bien que c'est pas pour me filer une médaille. Je vais me faire sucrer mes allocs par une poufiasse de trente balais qu'a jamais rien vu. Si elle me retire le RMI, je descends à Belzunce, je m'achète cinq kilos de teuchi, elle va voir si je suis pas capable de la monter mon entreprise !»Il nous sort le grand jeu aujourd'hui le Marseillais, il s'est chauffé au Get 27, ça met de l'ambiance. Tant mieux parce qu'en général c'est plutôt le bal des enclumes dans ce rade, toujours la même brochette de quadras en survêt, hypnotisés par l'écran géant, les boîtes de Lexomil et de Tercian sagement rangées sur le zinc à coté du jaune ou du petit crème. Tous au RMI.

La patronne, mafflue thénardière pas commode, saute sur l'occase pour débiter sa petite vacherie, enfoncer le clou: «Moi je pourrais jamais toucher le RMI, il faut que je bosse, que je bouge», annonce-t-elle alors que son cul déborde du tabouret. En tous cas, ça la gêne pas trop d'empocher tout ce pognon mal acquis. Dure en affaires, adepte de la préférence locale, elle me gonfle systématiquement la note. C'est vrai que je suis un étranger, j'habite à dix kilomètres et ne m'arrête pas souvent dans son riant estaminet.

Une barbie sur le retour, frigorifiée par sa journée dans la vigne, se sent visée: «C'est vrai je profite du RMI, je fais un peu de taille à côté, mais qu'est-ce que je peux faire d'autre ?» Le débat s'annonce passionnant pour une fois, mais il faut que j'y aille, le grand a judo ce soir.C'est à trente bornes, dans le grand gymnase d'une morne néo-banlieue de Carcassonne. Pas le droit d'assister au cours, ça distrait les loupiots, il pèle, y a que des petits pav, des immeubles et des ronds-points à perte de vue, le chauffage du supermarché me tend les bras.
Je vais glander là pendant une heure, sous ces néons qui font ressortir les cernes et les poches sous les yeux, vous donnent ce teint de paupiette avariée en descente d'amphétamines, dans cette odeur de chaussette aseptisée, subtil mélange de harpic et de klakos, j'en profiterai pour acheter deux trois trucs forcément indispensables.

La majorité des femmes arbore un percing au coin de la bouche, sorte de mouche des temps postmodernes, même la charcutière en a un planté dans sa moustache. Les mecs, je veux parler des zigues à la coule, pas des quelques Lebowski de mon acabit, portent plutôt l'anneau à la paupière. Avec mes croquenots et mon parka de vigne direct from Gamm vert, je suis définitivement out, plouc de plouc. A la ramasse, je suis à ranger avec tous ceux qu'essayent même plus de faire illusion, qu'ont besoin d'un bon stage de redynamisation, les traîne-jogging, les décolorées boutonneuses aux chicots disparates, aux racines bien noires...

Tiens voila Riri, Fifi et Loulou avec leurs casquettes Lacoste, leurs survêts jaune canari, leur acnée, leur démarche de pingouin qu'a chopé la gastro, mains dans les poches, pousse du coude, ricane. Pauvres enfants roumis d'une cité pourrie mais si mortellement tranquille, qui aimeraient tant ressembler aux caricatures de méchants Sarrasins que leur fourgue Skyrock. Pauvres gamins, c'est marqué sur leurs faces blêmes qu'ils s'appellent Kevin, ils n'ont aucune chance, sont cramés avant même d'ouvrir la bouche, labellisés lumpen par leurs tronches et leurs sapes.C'est nous, la France d'après. Putain qu'elle est saumâtre, mon Dieu qu'elle est grise!
[...]

Voila.

http://recits.blogs.liberation.fr/thierry_pelletier/

Aucun commentaire: